À l’origine du Groupe acrobatique de Tanger, il y a une femme passionnée: Sanae El Kamouni. Depuis son enfance, elle est habituée à voir des enfants de Tanger voltiger sur les plages, les places publiques, ou lors de festivités. Car il existe au Maroc une acrobatie unique au monde, avec une histoire ancestrale, maintenue à un très haut niveau grâce à de nombreuses troupes et familles. Celles-ci sont hélas cantonnées à reproduire toujours les mêmes numéros qu’elles montrent dans la rue, dans les cirques traditionnels ou au gré des contrats qu’elles trouvent dans le tourisme et le divertissement. C’est en 2003, lorsqu’elle rencontre Aurélien Bory en pleine création de son spectacle Plan B au théâtre Garonne à Toulouse, que Sanae perçoit les premiers liens qui pourraient exister entre l’acrobatie marocaine et le cirque contemporain.
Aurélien Bory
Séduite par la démarche artistique et l’univers d’Aurélien Bory, Sanae invite l’artiste à Tanger, pour rencontrer des acrobates traditionnels et animer un atelier avec eux. Ensemble, ils partent en repérage dans tout le pays pour recruter des acrobates, mais c’est finalement à Tanger qu’ils rencontrent les Hammich, venus en fratrie et aussi avec quelques amis. Tous très bons acrobates, ils se connaissent depuis longtemps. La famille Hammich est une famille d’acrobates traditionnels depuis au moins sept générations. Les enfants sont sur les planches dès l’âge de 3 ans. Et comme lors de ses voyages, Mohammed Hammich, le père, a vu de nombreuses femmes acrobates, il a aussi initié les femmes de sa famille.
La rencontre est si intense qu’au lieu des ateliers initiaux, douze acrobates, dix hommes et deux femmes s’embarquent dans la création du spectacle Taoub sous la houlette d’Aurélien. Créé en 2004 dans les jardins de la Mendoubia au coeur deTanger, le spectacle tourne pendant 6 ans dans plus de 20 pays jusqu’à NewYork au New Victory Theater à Broadway où il fait salle comble. C’est grâce à toutes ces tournées que le Groupe acrobatique de Tanger trouve son nom. En 2007, Martine Tridde-Mazloume (responsable du mécénat Groupe BNP Paribas) s’intéresse au Groupe acrobatique de Tanger et lui apporte le soutien de la Fondation. Elle joue ainsi un rôle important dans son évolution et son développement.
Martin Zimmermann et Dimitri de Perrot
L’aventure aurait pu s’arrêter là. De la « plage à Broadway », il y a matière à légende certes. C’est sans compter la fidélité d’Aurélien Bory qui continue de soutenir le groupe et conseille l’invitation de deux célèbres metteurs en scène suisses, Martin Zimmermann et Dimitri de Perrot, afin de lancer une nouvelle création. En 2009, ils créent Chouf Ouchouf. Ce second spectacle enflamme le festival d’Avignon, tourne lui aussi dans de nombreux théâtres d’Europe et a été couronné par l’obtention du prix de l’excellence artistique du festival de Brighton en 2011. La Fondation BNP-Paribas est elle aussi de toutes les aventures et permet par la permanence de son soutien la survie d’une troupe hors de tous les cadres.
Derrière le succès, le travail humain est considérable. Sanae El Kamouni est cette pièce maîtresse du Groupe Acrobatique de Tanger, à même de faire le lien entre les mondes et de veiller à la cohésion du groupe. Les défis en matière de franchissement des frontières, de langues, d’évènements de la vie, de relation à la tradition constituent l’épaisseur de la troupe. Elle se constitue en association en 2010 et se domicilie à Toulouse sur les terres de la Compagnie 111 qui accompagne son développement depuis le début, puis à Paris en 2015 (association Halka). Même si la relation à la France fut toujours privilégiée, cette année est un tournant : la réalité économique et artistique du Groupe acrobatique de Tanger s’ancre en France, avec toute la singularité de ce lien que ce dernier tisse entre les deux rives de la Méditerranée.
Marseille 2013
Lorsque Dominique Bluzet, le directeur du Grand Théâtre de Provence parle à Aurélien Bory d’un projet pour l’évènement, le Groupe acrobatique de Tanger sonne comme une évidence pour l’artiste « Leur place dans cette manifestation est totalement légitime. Leur acrobatie est unique. J’ai eu envie de les retrouver. J’aime les aventures improbables et la nôtre l’est ». Cette fois, il ne s’agit plus de produire le spectacle àTanger avant de le faire tourner mais bien d’inscrire la création en France.
Quatre mois de résidence à l’Etang des Aulnes, à Circa (Auch) et au Grand Théâtre d’Aix en Provence donne naissance au spectacle Azimut. Dans ce spectacle, il est question des racines spirituelles de l’acrobatie, héritage du soufisme. La compagnie élargit sa dimension. Elle s’implique dans des actions en direction d’établissements scolaires et d’autres structures pédagogiques ou sociales, dans la continuité des premières expériences menées avec le Centre National du Cirque et l’Ecole de Cirque de Lomme en 2005 et 2006.
Le phénomène est tellement unique que la troupe a droit à son propre livre : Taoub - Le Groupe Acrobatique de Tanger, un ouvrage de 232 pages qui dresse le portrait de ces artistes et relate leur aventure (éditions Senso Unico et ed. du Sirocco, 2012)